Une tribune de Gilles Bonnenfant, Président d’Eurogroup Consulting, publiée le 26 janvier 2023 dans Les Echos.
Une génération atteinte d’une épidémie de flemme. Flemme au travail, flemme de sortir, flemme jusque dans les loisirs. Voici la petite musique d’actualité qui condamne notre jeunesse en déformant l’analyse pourtant précautionneuse de la Fondation Jean-Jaurès. Elle serait démobilisée et désengagée, saisie d’une léthargie qui n’épargnerait personne.
L’explication est commode, soutenue par l’aplomb du « c’était mieux avant ». Seulement, rien ne l’atteste. Il existe un décalage entre la réalité de l’engagement au travail et cette perception grandissante. Et si, comme la « grande démission », tant annoncée mais toujours pas confirmée en France, il s’agissait d’une illusion ? A mieux y regarder dans le quotidien de nos entreprises, ce qui évolue ce n’est pas le niveau d’engagement : ce sont les formes d’engagement. Nous subissons une succession de crises brutales qui bousculent toutes nos certitudes. Nous parlons d’une génération contrainte d’apprendre un vocabulaire que nous pensions disparu : « confinement », « couvre-feu », puis « guerre » et désormais « délestage ». Ces dernières années, l’impensable s’est produit et a cruellement souligné les insuffisances de nos modèles. Ni masques ni munitions, lorsqu’une pandémie puis un conflit armé surgissent.
Quand les repères s’écroulent, d’autres doivent se constituer.
Dans un tel contexte, comment reprocher à cette génération d’interroger nos institutions et de remettre en question les formes d’engagement dans la société qui lui sont proposées ? Loin d’une épidémie de flemme, nous assistons à une mutation profonde de la façon de s’engager au service d’une cause, d’une institution et du bien commun. L’Institut de l’engagement montrait récemment que les jeunes – âgés de 18 à 24 ans – s’engagent différemment de leurs aînés : s’ils s’engagent moins politiquement (ils sont 14 % seulement à s’investir de façon régulière dans un parti) ou syndicalement (pas plus de 15 %), les engagements restent multiples, via les associations, les réseaux sociaux, ou l’exigence d’appliquer leurs valeurs à leurs choix de vie ou de consommation. Ils sont ainsi 51 % à boycotter ou choisir des marques en fonction de leurs convictions, et près d’un jeune sur cinq (21 %) annonce avoir déjà renoncé à un travail ou une proposition d’emploi en raison de ses convictions ou de son engagement.
Cette génération a donc la même énergie que ses aînés lorsqu’elle se consacre à ses convictions.
Ce sont simplement les manières de les défendre qui changent. Alors que nous avons à mener ensemble des transitions d’une ampleur inédite, il y a dans la rencontre de ces actions la promesse d’une complémentarité au service du bien commun. Le changement auquel nous assistons est l’apparition d’un modèle de multi-engagements chez une nouvelle génération déterminée. Pour notre destin collectif, il y a ici une immense réserve de vitalité, pourvu que nous soyons en mesure de comprendre et de tenir compte de ces nouvelles aspirations dans l’engagement. Notre grand défi, c’est donc la fabrique de l’intérêt par les entreprises.
L’enjeu est d’ouvrir les espaces de discussion nécessaires pour permettre l’intégration de ces nouvelles attentes.
Car si l’engagement consiste à « faire société », s’il réside dans le sentiment de faire partie d’un groupe, alors tout se joue dans la capacité du leader à inspirer et dans la responsabilité du manager de proximité à apporter, concrètement, du sens aux missions de chacun. Pour l’entreprise, l’enjeu est d’ouvrir les espaces de discussion nécessaires pour permettre l’intégration de ces nouvelles attentes. Formation des collaborateurs aux enjeux climatiques, formes renouvelées du mécénat d’entreprise, volontariat : nos entreprises s’adaptent aux nouvelles formes d’engagement, qui transforment déjà leur quotidien.
Face à la brutalité des crises que nous vivons, face à l’ampleur des défis auxquels nos sociétés font face, seuls des engagements multiples, collectifs et, complémentaires pourront mettre nos sociétés en mouvement.