Les comportements de services sont sans aucun doute très différents d’un pays à l’autre, et les facteurs culturels jouent un rôle clé dans la relation client (rôles, statuts, intonations, rituels de civilité…). Observer les services en Chine, sans parler le mandarin ni être un expert de la culture chinoise, relève donc un peu de la gageure ! Mais il y a quand même des différences qui frappent objectivement l’observateur habitué au contexte français.
Illustrons-les à travers une expérience de service vécue. Les photos ci-dessous rendent compte d’une situation a priori banale : acheter un café (ici chez Luckin Coffee, enseigne ayant pignon sur rue). A priori, c’est assez simple et on s’attend à voir 2 personnes de part et d’autre d’un café, comme sur la première photo. Sauf que ce moment relationnel est apparu en creux – ou dit autrement, il n’y aurait pas dû y avoir autant de relationnel au cours de cette prestation de service.
Illustrons-les à travers une expérience de service vécue. Les photos ci-dessous rendent compte d’une situation a priori banale : acheter un café (ici chez Luckin Coffee, enseigne ayant pignon sur rue). A priori, c’est assez simple et on s’attend à voir 2 personnes de part et d’autre d’un café, comme sur la première photo. Sauf que ce moment relationnel est apparu en creux – ou dit autrement, il n’y aurait pas dû y avoir autant de relationnel au cours de cette prestation de service.

La relation malgré tout à Luckin Coffee
Le premier symptôme de cette réticence relationnelle, c’est le digital. La Chine semble à des années lumières de la France en matière de digitalisation des services. Un consommateur équipé d’un smartphone et d’un compte WeChat et/ou AliPay aura accès à un écosystème de services très complet (incluant les achats de billets pour les monuments, commande de “didi” – l’équivalent d’uber, location de vélo… et donc commandes de café !), en plus des fonctions de réseau social et de paiement en ligne, en “physique” (au restaurant) ou en peer-to-peer (vous pouvez verser de l’argent à une personne inconnue que vous croisez dans la rue via votre téléphone).

Le process de Luckin Coffee s’appuie sur cet écosystème et voudrait que le client commande via son téléphone, en scannant le QR code de l‘établissement (voir photo ci-dessous), choisissant le type de café, les arômes éventuels etc. et récupère in fine sa commande auprès du personnel au contact avec lequel un échange minimal suffira amplement. Lorsque l’accès à la commande via le téléphone (français) est bloqué, tout le système s’effondre et le personnel doit intervenir (dans ce cas de figure, l’employée finira par utiliser son propre téléphone et se fera rembourser grâce au paiement en P2P !).
Le plastique constitue le second symptôme frappant de cette réticence relationnelle chez Luckin Coffee. Lorsque l’employée s’est impliquée dans l’interaction pour aider la cliente française en difficulté (attitude de service / orientation-client évidente !), il est devenu visible qu’elle portait des gants en plastique. Et, ce qui constitue (littéralement !) une couche supplémentaire de mise à distance, elle a enfilé une paire de gants en plastique supplémentaire pour saisir le téléphone problématique et chercher une solution. Il n’y a clairement pas de restriction sur l’usage du plastique en Chine actuellement, mais il y a ici une précaution extrême par rapport au contact physique.

De quoi le plastique et le QR code sont-ils le signe ?
Ces deux symptômes (le plastique et le digital) pourraient n’être que des faits exotiques, indépendants l’un de l’autre et propres à la Chine. Mais il est intéressant de se demander s’ils ne sont pas plutôt très significatifs d’une tendance lourde qui se dessine dans le monde des services, et que la crise de la Covid a fortement amplifiée, mais sans pour autant qu’elle soit irréversible et universelle. Cette tendance, c’est celle de la remise en cause de la relation dans les services, et sa question associée : peut-on construire un service sans relation ?
La relation client, c’est l’évidence même du service, son ingrédient fondamental. C’est d’ailleurs parce que la relation est si importante que le personnel en contact a été progressivement reconnu comme un acteur clé dans la réussite d’un service. David Bowen, un chercheur américain réputé en management des services, présentait d’ailleurs dans un article en 2016 l’histoire du management des services comme celui de reconnaissance progressive des employés au contact des clients – ceux qui incarnent la marque, apportent la touche d’empathie, sont capables de réagir en cas de difficulté pour le client, etc.
Mais David Bowen prédit dans le même article que cet âge d’or pourrait arriver à son terme. Avec des clients de plus en plus autonomes (“empowered ”) et une technologie de plus en plus puissante, a-t-on encore besoin des employés au contact ? Et du coup, question très proche, a-t-on encore besoin de relation ? Du serveur du café que nous connaissons bien, avec ses gants blancs, à l’employée de Luckin Coffee que nous ne devrions presque pas voir, avec ses gants en plastique : est-ce simplement la relation de service que nous sommes en train de voir disparaître ?
Quelques pistes de questionnement autour de la relation
Derrière cette tendance de fond, il y a trois questions importantes à se poser sur la relation client.
La première question, c’est de savoir si tous les services nécessitent de la relation. Un exemple récent est fourni par les coiffeurs qui ont proposé à leurs clients une coupe en silence. Notre coiffeur/se va s’occuper de vos cheveux, mais si vous le souhaitez, il/elle ne vous parlera pas ! Cette innovation de service doit nous interroger sur l’intérêt et la valeur que l’on trouve à la dimension relationnelle du service. En tant que client, comme en tant que collaborateur ou comme dirigeant. On peut en effet concevoir la valeur délivrée chez le coiffeur comme résultant d’une ambiance relationnelle indépendamment de la coupe (les deux auteurs de ce billet n’ont malheureusement guère plus besoin désormais que d’un coup de tondeuse !), ou à l’autre extrême comme résultant de la technicité (ex: une couleur) et de l’expertise (ex: visagisme) du professionnel.
Il faut aussi se demander, et c’est la deuxième question, si nous n’allons finalement pas un peu trop vite en besogne. Après tout, la disparition des agents au contact, est-ce la fin de la relation client ? Changement de régime, certainement; mais alors que l’on est perplexe devant l’émergence de relations romantiques ou amicales entre humains et agents conversationnels, et que les robots anthropomorphes ont depuis longtemps rejoint la scène des services (par exemple dans les maisons de retraite), digitalisation et plastiques ne sont peut-être finalement que les ingrédients d’une relation moins humaine et plus technologique. Pour toute organisation de service, en fin de compte, il s’agit toujours de se demander quelles modalités relationnelles conviendront à quelle typologie de clients ! relation client relation client relation client

Le dernier point de vigilance nous ramène à Luckin Coffee. Ne pas prioriser la relation avec l’agent au contact a priori, soit – mais il ne convient pas pour autant d’empêcher la relation lorsqu’elle devient opportune. La photo ci-dessous nous ramène presque aux hygiaphones administratifs, largement critiqués pour leur manque d’ergonomie communicationnelle. Chez Luckin, clairement, les vitres ouvertes à hauteur de mains étaient adaptées à la délivrance des cafés, mais pas à la communication verbale. L’aménagement du lieu de service était tellement pensé contre la relation que l’employée au contact a dû surmonter des obstacles physiques (en l’occurrence elle a fini par sortir de la boutique) pour aider le client. Ne pas prioriser la relation ne doit pas être confondu avec le fait d’aller à l’encontre de celle-ci !
NOTRE EXPERT

Arnaud ALLESANT
Directeur Associé









